Les achats responsables : dialogue mélien ou collaboratif ?

Les achats responsables : dialogue mélien ou collaboratif ?

Les achats responsables diffusés, pour promouvoir une politique RSE vers l’extérieur de l’organisation, répondent à une dichotomie managériale. En infusant tout au long de la SCA (supply chain amont) les enjeux RSE, l’acheteur se voit ainsi, attribuer le rôle de transmettre une certaine « vision messianique » (Quairel, 2007) de l’entreprise auprès de ses ressources externes.

Les achats messianique

Le terme messianique[1] n’est pas anodin, car il traduit une volonté salvatrice des entreprises de mettre fin à un ordre ou système considéré comme non juste au profit d’un système meilleur. Cette infusion de l’interne d’abord, puis la diffusion vers l’externe garantit à l’acheteur d’intégrer et de faire adhérer ses ressources externes au niveau de performance souhaitée par l’entreprise. Cette démarche s’inscrit, dans ce cas, dans une démarche vertueuse. Toutefois, la prise en compte de risques au cœur de la SCA peut contrainte les achats à répondre de manière « défensive » (Quairel, 2007). L’acheteur en tant que « manager des risques » dans la SCA doit pouvoir maitriser l’anticipation de divers risques probables et potentiels, tel que :

  • (1) le risque réputationnel de l’entreprise par l’association de partenaires aux pratiques contestables et répréhensibles tant social, environnemental ou économique
  • (2) le risque de rupture de la chaîne d’approvisionnement
  • (3) les risques opérationnels
  • (4) les risques RSE

Les achats responsables sont un moyen de maitriser ces risques. La notion d’achats responsables s’inscrit pleinement dans une démarche RSE., puisqu’il s’agit : d’intégrer les critères environnementaux, d’éthique des affaires, d’actes sociaux dans le choix des produits des matières premières ou de services et dans le choix et la gestion de la relation fournisseur». La relation acheteur-fournisseur au travers d’une collaboration étroite et d’une communication des valeurs de l’entreprise aux fournisseurs, permettrait d’améliorer l’adhésion, l’engagement et la performance des fournisseurs (Carter et Jenning, 2002 ; Chen et Paulraj, 2007 ; Lado, Paulraj et Chen, 2011 ; Yawar et Seuring, 2017). Cependant, l’idée que le contrôle interfirme couplé à une approche relationnelle et un engagement fort des directions d’entreprise permet un déploiement de partenariat entre acheteurs et fournisseurs, un apprentissage réciproque et une optique gagnant-gagnant.

Le dialogue mélien des achats responsables

Est-ce pour autant facile ? Qui a étudié le grec ancien, lors de ses études obligatoires, se souviendra certainement du dialogue entre les Athéniens et les Méliens (habitants de l’île de Mélos) lors de la guerre du Péloponnèse (431 à 404), raconté par Thucydide[2]. Digression inutile penserait le lecteur… mais pas tant que cela puisque la question d’imposer une volonté (ou une stratégie) sur un concurrent, partenaire ou partie prenante est toujours présente à notre époque.

Le dialogue mélien[3], est une discussion, dans laquelle les deux parties tentent de parvenir à un accord mutuel sur une question controversée dans une situation opposée. Les forts exercent leur autorité et leur ascendant au détriment des faibles qui doivent concéder. Dans le contexte des achats responsables, les entreprises peuvent utiliser des principes de dialogue et d’échange d’informations avec leurs fournisseurs pour s’assurer que les pratiques de ces derniers sont conformes aux normes éthiques et durables de l’entreprise. En établissant un dialogue honnête et transparent avec les fournisseurs, l’entreprise peut s’assurer que ses achats ne contribuent pas à des pratiques commerciales préjudiciables pour l’environnement, les communautés locales et les travailleurs.

Ainsi, bien que le dialogue mélien ne soit pas une composante directe des achats responsables, ses principes peuvent être utilisés dans la prise de décision éthique et responsable dans le cadre de ces pratiques.

Vers un dialogue collaboratif

Pour Chen et Paulraj (2004), le déploiement d’un dialogue coopératif dans la relation acheteur — fournisseur conduit à l’optimisation d’un « avantage collaboratif » versus un « avantage compétitif ». Les achats responsables, en prévision de « social issues », infusés dans la SCA grâce à une campagne de compliance[4] (documentaire) et de développement des fournisseurs permettraient de diminuer les risques et d’augmenter la performance des fournisseurs. Le déploiement de collaborations (de confiance) avec les fournisseurs par des plans de sécurisations des approvisionnements ou une mutualisation des risques avec ses partenaires ou bien encore par le partage des attentes et objectifs en termes de RSE (Gendron et al., 2004) permettent l’atténuation de ces derniers.

L’avènement des chartes éthiques

Le déploiement de démarches responsables par le biais de chartes éthiques ou codes de conduite impacterait « de manière bienveillante » les achats responsables (Blome et Paulraj, 2013). Dans ce cas, l’on peut traduire que les démarches d’achats responsables ont une portée collaborative ou d’équilibre entre deux forces (acheteur — fournisseur) et permettent d’aligner les deux protagonistes au même niveau.

Cependant, à l’heure actuelle, on peut s’interroger si ces outils (code de conduite, charte éthique, code des pratiques) sont les seuls moyens efficaces, mis à disposition des praticiens pour déployer et infuser des démarches d’achats responsables au sein de la SCA.


[1] Selon l’étymologie, messianique renvoie au messianisme. Ce terme provient du latin messias et de l’araméen meshiha (« oint du Seigneur »). D’après le Dictionnaire de l’Académie française, huitième édition, 1932-1935, la notion de messianique se rapporte à un rôle salvateur d’homme (ou entreprise dans notre étude) providentiel (le) rétablissant un ordre naturel et juste.

[2] Thucydide est un homme politique et historien athénien, né vers 460 av. J.-C et mort entre 400 et 395 av. J.-C

[3] Agathe Roman (2007) évoque les enjeux de cet affrontement dans : Le choix de la forme du dialogue, le dialogue des Athéniens et des Méliens (Thucydide, V, 85-113). Dialogues d’histoire ancienne, 33 (1), 9-22.

[4] Par compliance, nous entendons la mise en conformité du panel de fournisseurs aux normes, exigences et valeurs véhiculés par les Maisons. La compliance peut regrouper divers processus de contrôle d’une organisation afin de limiter les risques financiers, opérationnels, juridiques ou réputationnels.

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  • Blome, C., & Paulraj, A. (2013). Ethical climate and purchasing social responsibility: A benevolence focus. Journal of Business Ethics, 116(3), 567-585.
  • Carter, C. R., & Jennings, M. M. (2002). Logistics social responsibility: an integrative framework. Journal of business logistics, 23(1), 145-180.
  • Carter, C. R., & Jennings, M. M. (2004). The role of purchasing in corporate social responsibility: a structural equation analysis. Journal of business Logistics, 25(1), 145-186.
  • CHEN, I. J., & PAULRAJ, A. (2004). Towards a theory of supply chain management: the constructs and measurements. Journal of operations management, 22(2), 119-150.
  • Gendron, C., Lapointe, A., & Turcotte, M. F. (2004). Responsabilité sociale et régulation de l’entreprise mondialisée. Relations industrielles/industrial relations, 59(1), 73-100.
  • Lado, A. A., Paulraj, A., & Chen, I. J. (2011). Customer focus, supply‐chain relational capabilities and performance: Evidence from US manufacturing industries. The International Journal of Logistics Management.
  • Paulraj, A., & Chen, I. J. (2007). Strategic buyer–supplier relationships, information technology and external logistics integration. Journal of Supply Chain Management, 43(2), 2-14.
  • Quairel, F. (2007, May). Contrôle et RSE aux frontières de l’entreprise : la gestion responsable de la relation fournisseurs dans les grands groupes industriels. In « COMPTABILITE ET ENVIRONNEMENT » (pp. CD-Rom).
  • QUAIREL, F., & AUBERGER, M. N. (2007). La diffusion de la RSE par la relation fournisseurs : injonctions paradoxales ou partenariat de progrès ? Revue internationale PME Économie et gestion de la petite et moyenne entreprise, 20(3-4), 69-94.
  • YAWAR, S. A., & SEURING, S. (2017). Management of social issues in supply chains: a literature review exploring social issues, actions and performance outcomes. Journal of Business Ethics, 141(3), 621-643.

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